Petit florilège des musiques qui broient du noir #3

Buenos Aires et le tango

     Né dans les faubourgs mal famés de Buenos Aires, le tango possède ses lieux, son langage (l'argot du lunfardo), ses personnages (marlous et compadre), ses héros et ses martyrs, tout un folklore élaboré à partir de ce qui est, plus qu'une sensuelle improvisation chorégraphique, une "pensée triste qui se danse", selon une expression devenue célèbre. 
« Il ne nous appartient pas ici d'examiner pourquoi l'inquiétude métaphysique est le substrat de notre meilleure littérature. Nous voulons simplement signaler qu'elle existe dans cette humble banlieue de la littérature argentine qu'est le tango » écrit le poète et historien du tango Horacio Salas. « Le Portègne, comme personne en Europe, sent que le temps passe et que la frustration de tous ses rêves et la mort constituent son inévitable épilogue ».

« Tengo miedo del encuentro 
con el pasado que vuelve 
a enfrentarse com mi vida 
Tengo miedo de las noches 
que pobladas de recuerdos 
encadenen mi sonar
 pero el viajero que huye, 
 tarde o temprano detiene su andar »
« J'ai peur de retrouver
mon passé qui revient
se mesurer à ma vie
J'ai peur que de longues nuits
peuplées de souvenirs
enchaînent ma rêverie
mais le voyageur qui fuit
tôt ou tard doit s'arrêter »

 
"Volver", tango d'Alfredo Le Pera et chanté par Carlos Gardel

« La guitarra, en el ropero 
todavia está colgada 
nadie en ella canta nada 
ni hace sus cuerdas vibrar. 
Y la lámpara del cuarto 
también tu ausencia ha sentido
porque su luz no ha querido 
mi noche triste alumbrar »
« La guitare, dans le placard
est encore suspendue
personne ne chante en elle
ni fait vibrer ses cordes
Et la lampe de chevet
a aussi senti ton absence
parce que sa lumière n’a pas voulu
illuminer ma triste nuit »

"Mi noche triste" (1916) de Pascal Contursi, probablement le premier tango chanté,
interprété par Carlos Gardel puis par l'orchestre d'Anibal Troilo


Au son du bandonéon, instrument sentimental, « dramatique et profond », « accoudé à la table en marbre du café, devant un verre d'eau-de-vie et un paquet de brunes, méditatif et amical, il s'interroge », entre amertume cynique et arrogance désabusée. 
Et il danse pour méditer sur son (triste) sort.